L’auteur partage son entrée dans le monde des JDR, via la pratique solo dès l’enfance, puis le Voyage qu’il a Entrepris jusqu’à l’écriture d’Ironsworn.
Traduction d’un article de blog écrit par Shawn Tomkin, auteur d’Ironsworn. Traduction par dan qui dam, avec l’aide de Le Fâché, avec l’aimable autorisation de Shawn T.
Temps de lecture : environ 5 minutes.
D’où vient Ironsworn ? D’un voyage sinueux de plusieurs dizaines d’années.
Depuis aussi longtemps que je joue, je crée des jeux. Quand j’avais 10 ans, j’ai conçu un wargame de ‘Bataille des Cinq Armées’ : c’étaient les années 70 et j’adorais Le Hobbit. Je me souviens de mon père et moi, sur le sol du salon, en train de déplacer de petits morceaux de papiers. Ce n’était vraiment pas un bon jeu, mais c’est l’un des rares souvenirs précis que j’ai de cette période de ma vie.
Comme preuve de mon fanatisme du Hobbit, dans toutes ses formes, voici un dessin vieux de plus de 45 ans – fait quand j’avais 12 ans. Manifestement, j’étais un artiste en devenir.
À cette période, j’ai passé beaucoup de temps à jouer (en solo) à DeathMaze, un jeu de plateau/dungeon-crawler (exploration de donjon). Il manquait d’objectif pour moi, alors j’en ai modifié les règles pour y ajouter des quêtes en mode ‘missions’.
Couverture de Deathmaze, un jeu de Greg Costikyan
Je n’ai jamais eu l’occasion de jouer à des jeux de rôles en groupe pendant les années 70 et 80, malgré l’apparition soudaine et attrayante de Donjon & Dragon au KB toys proche de chez moi [NdT : ex-grande chaîne de magasins américains, type Toys’R’us].
J’ai fini par acheter les livres Donjon & Dragon, règles de base et règles avancées, et j’ai essayé de déchiffrer leur nature cryptique. Je me demandais à quoi ressemble une partie, c’est comment de jouer à ce truc? À cette époque, on n’avait pas de parties filmées pour voir à quoi pouvait ressembler une session de jeu. C’étaient des mystères impénétrables.
Dans mes efforts pour comprendre D&D, j’ai commencé à y jouer en solo, générant des donjons et envoyant mes infortunés personnages vers une fin prématuré. J’ai changé les règles. Griffonné sans fin et au besoin créé des tables aléatoires disséminées au fil de mes carnets.
Mais c’était toujours du bricolage, de la bidouille. Il n’y avait jamais eu de quoi titiller mon imagination. Dans les années 80 et 90, je lisais régulièrement Dragon Magazine et mes parties de jeu ne remplissaient pas les promesses d’aventure annoncée dans ses pages. Elles restaient un trésor hors d’atteinte.
En passant, cette couverture de Dragon par Daniel R. Horne est l’une des choses que je préfère au monde. Elle raconte tellement de choses! Le paysage gelé, la lumière du jour qui vacille, le carquois vide, et cette dernière flèche – extraordinaire! Cette illustration en m’est restée à l’esprit durant la création d’Ironsworn.
À terme, j’ai trouvé ma place au sein de groupes de jeux de rôles. Mes préférences en matière de JDR ont suivi le même chemin que j’ai pu observer chez bien d’autres rôlistes – une transition des jeux traditionnels vers des expériences plus légères et narratives. Je suis passé de D&D 3e à Savage World, puis au fantastique système de jeu Fate de Evil Hat Production, que je trouve éminemment adapté au hack, une merveilleuse base pour concevoir des jeux. Pour finir sur d’obscurs jeux narratifs de toutes sortes.
Fate RPG, publié en VO par Evil Hat Productions, en VF par 500 Nuances de Geek
Dans mon vécu rôliste, il y a une constante : je préférais jouer en solo, ou en duo avec un membre tolérant de ma famille. Mes tentatives de jeu en groupe ont globalement capoté.
Vers cette période, j’ai croisé la route du Mythic Game Master Emulator de Tana Pigeon [NdT : une référence dans le monde anglophone du JDR solo, pour apprendre à adapter en solo des aventures de groupes]. C’était une révélation. Ça m’a montré le pouvoir des tables d’oracles, et comment nos esprits créatifs pouvaient utiliser la moindre petite amorce pour inventer des liens avec notre fiction de jeu. Les jeux sans MJ sont souvent des jeux où l’on alterne entre le rôle de MJ et celui de joueur/joueuse. Et non des jeux qui font vraiment de l’émulation de MJ. Le livre de Tana procure surprises et cohérence narrative, ce qui est plutôt magique.
Mythic est ingénieux, et mes propres jeux n’existeraient pas sans ce livre. La 2e édition, publiée l’an dernier, peaufine le système pour le rendre éclatant. Je le recommande fortement!
Mythic Game Master Emulator écrit par Tana Pigeon (pas de VF officielle existante actuellement)
Et puis vient Apocalypse World…
J’ai découvert tardivement le mouvement des jeux ‘Propulsés par l’Apocalypse’. Ce sont des jeux créés d’après le système d’Apocalypse World de Vincent D. Baker et Meguey Baker. En tant que ‘famille de jeux’, ils sont peut-être surtout connus pour leurs éléments communs : les Actions (Moves), les livrets de personnages, et la résolution via le dé à 6 faces qui génère des résultats non-binaires – succès, succès partiel ou échec.
Apocalypse World par D. Vincent Baker and Meguey Baker
Ce sont les Actions qui ont particulièrement éveillé mon cerveau de game designer…
Tout d’abord, j’ai eu du mal à assimiler les règles du jeu. J’ai encore du mal. En fait, l’un des charmes du JDR solo est l’autorisation que l’on se donne de se planter et vagabonder pendant l’apprentissage des règles, à notre vitesse. Mais ça peut tout de même être un peu frustrant. Les Actions, d’un autre côté, sont des morceaux autonomes de résolution mécanique mêlés à de la narration. Vous faites telle chose dans la narration : vous suivez la procédure correspondante dans les règles. C’est le cas dans tous les JDR, bien sûr, mais les Actions sont pensées comme des procédures référençables. Au lieu de devoir vous souvenir d’une règle obscure en page 348, vous avez un lien permanent auquel vous référencer pour retrouver chacune des Actions.
Ensuite, j’ai compris que les règles d’Apocalypse World avaient du potentiel pour jouer sans MJ. Chaque Action a des conditions et des résultats bien définis. Vous faites telle chose, alors tel résultat survient. Les Actions entrent dans la conversation du groupe, elles sont comme une MJ guidant la résolution des actions des personnages et aidant à imaginer l’explication narrative de cette résolution. Peu importe ce qui survient [aux résultats des dés], il se passe quelque chose [dans la fiction]. Ce rythme de jeu est prolifique ! Même sans MJ.
Il y a des tas d’innovations dans Apocalypse World, en plus des Actions, j’entends. Mais les Actions ont débloqué quelque chose d’essentiel pour moi.
Apocalypse World a mené à d’autres expériences. Blades in the Dark (par John Harper) et Agon (par John Harper et Sean Nittner) sont des points de références pour moi, pas seulement pour leurs mécaniques élégantes de jeu mais aussi pour leur qualité matérielle et leur design.
Agon par John Harper and Sean Nittner
Ce qui m’a amené à Ironsworn. Ce jeu incarne ce que je veux dans un JDR :
- Pas trop de complexité, mais des mécaniques procédurales captivantes ;
- Peu ou pas de préparation ;
- Idéal pour jouer en solo, sans MJ ou en petit groupe ;
- Un monde tout juste esquissé pour permettre de se l’approprier ;
- Un jeu ouvert aux hacks.
Mon crédo absolu en tant que game designer est simple : faire le jeu auquel je veux jouer.
J’ai commencé à créerIronsworn en 2016. J’ai des cartons et des disques durs remplis de brouillons de jeux, mais c’est celui-ci que j’ai retenu. C’était difficile, et ça m’a pris des centaines d’heures réparties sur quelques années, mais je l’ai fait et mis en ligne.
Et, étonnamment, les gens ont eu l’air d’apprécier. Mon groupe Google+ (RIP) est passé de quelques personnes à quelques milliers de personnes. Leurs retours et leurs compte-rendus de parties m’ont aidé à orienter le jeu vers sa version finale.
J’ai publié Ironsworn en 2018, suivi du supplément Delve en 2020, Starforged en 2022 et Sundered Isles en 2024. Aujourd’hui, la communauté autour d’Ironsworn est constituée de personnes gentilles, patientes, créatives, prévenantes et incroyables. Pour quelqu’un qui jouait et créait dans la solitude pendant tellement d’années, c’est une bénédiction – une révélation.
Chacune de mes créations est la suite de mon voyage entrepris dans mes âges sombres des années 70. Je remercie toutes les personnes talentueuses, game designers et créatrices, qui ont eu une si grande influence sur mon travail !
– Shawn Tomkin. 22 mars 2024. [Voir le message original, en anglais]